« Laïcité » : notion vaste et complexe,
objet de nombreux et vifs débats.
La problématique « Le concept de laïcité est-il utopique ? » va
permettre de focaliser le champ de la
réflexion sur ses sources philosophiques, d'Averroès à Catherine Kintzler, de
prendre de la distance avec le bruit et la fureur de l’actualité immédiate,
tout en posant une question centrale et utile à tout engagement citoyen éclairé.
Une appréciation de la laïcité dans son aspect juridique
français actuel (la Constitution de 1958) et dans une formulation plus complexe,
celle d’Henri Pena-Ruiz ouvrira le débat. Le
processus historique, (la lutte contre le fanatisme religieux et la collusion du pouvoir
temporel/spirituel), fait naître progressivement les éléments du concept de
laïcité (dont le nom apparaîtra en 1871), qui, en retour, va devenir une
« force productive » émancipatrice.
L'apport
de Spinoza, de Locke, de Bayle sera exploré. Mais ce sont surtout les
philosophes des Lumières, Kant, Rousseau, Condorcet, notamment, qui poseront les fondamentaux de la pensée laïque. Le
combat pour la tolérance dès la Renaissance, la Déclaration des Droits de 1789,
la « Séparation » de 1905, seront, pour la France, des seuils
décisifs. C’est notre héritage. Fragile et menacé
Car, aujourd’hui,
le concept de laïcité reste encore une
utopie par son incomplétude face à de
nouveaux défis. On peut alors interroger le concept de laïcité par le détour de
l’utopie
laïque comme écart, inachèvement, manquements, recul de la pensée laïque
par rapport à l’idéal universaliste qu’elle vise (les colonies,
l'Alsace-Moselle, les discriminations envers les femmes, les immigrés, l'état du
monde) ou de l’utopie
laïque comme voile, falsifications, instrumentalisation au service d'intérêts religieux ou profanes, ou
impasses théoriques.( laïcité "ouverte", religion civile, "foi
laïque" ?). Mais l’utopie peut dessiner un horizon d’attente : Pierre Rosanvallon, John Rawls, C. KIntzler
nous y inviteront.
Entre utopie et nécessité (les questions nouvelles du
moment , de la cité pour tous au monde pour tous), c’est l’Ecole publique, en tant qu’institution organique de la Respublica, comme « espace
critique », lieu et enjeu de dévoilement, qui peut contribuer, par la
rencontre de la puissance libératrice du savoir, à la formation de sujets
pensants, d’hommes et de femmes comme citoyens en devenir. Mais qu'en est-il
aujourd'hui ? Entre reproduction sociale et émancipation citoyenne, l'Ecole que
souhaitait Condorcet reste à construire et à prolonger par une véritable éducation populaire, car l’instruction scolaire des enfants ne suffit pas à une
démocratie durable. C’est un combat politique majeur.
Alors,
le concept de laïcité est-il utopique ? Poser le problème, c’est déjà
envisager des possibles. En dernière
instance, l’histoire, par l’intervention
de ses acteurs, dira si la laïcité est bien la pensée complexe d’un monde
devenu complexe, la force créatrice de liberté et d’égalité, la
« vérité de demain ». En attendant d’autres
« inespérés » ?
Henri
GIORGETTI
*L’article premier de la Constitution
française de 1958 énonce :
« La France
est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure
l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de
race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances… »
(n.b. le
terme « laïque » apparaît déjà dans la constitution de 1946)
H. Pena-Ruiz écrit :
« La notion de
laïcité recouvre un idéal universaliste d’organisation de la cité et le
dispositif juridique qui, tout à la fois, se fonde sur lui et le réalise. Le
mot qui désigne le principe, « laïcité », fait référence à l’unité du
peuple, en grec le laos, conçu comme réalité indivisible, c’est-à-dire exclusive
de tout privilège. Une telle unité se fonde sur trois exigences
indissociables :
la liberté de conscience assortie de
l’émancipation personnelle, l’égalité de tous les citoyens sans distinction
d’origine, de sexe ou de conviction spirituelle, et la visée de l’intérêt
général, comme seule raison d’être de l’Etat. »
.
(La
laïcité – Textes choisis et présentés par Henri Pena-Ruiz – Flammarion 2003)
Annexes
Texte de
Tocqueville sur le despotisme du futur (que R. Simone actualise par « Le Monstre
doux »)
« Je
veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire
dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux
qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires
plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est
comme étranger à la destinée de tous les autres. […]
Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire , qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »
Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire , qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »
Alexis de
Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, 1835-1840
Quelques
sources intéressantes
BAUBEROT
Jean – Histoire de la laïcité en France
– Que sais-je ? PUF 2010
BAUBEROT
Jean – La laïcité falsifiée – La
Découverte 2012
BAUBEROT
Jean – Les laïcités dans le monde –
Que sais-je ? PUF 2010
BAUBEROT
Jean – MILOT Micheline – Laïcités sans
frontières – Seuil 2011
CONDORCET
– Cinq mémoires sur l’instruction
publique – Flammarion 1994
CORM
Georges – Pour une lecture profane des
conflits – La Découverte 2012
DEBRAY
Régis – Un candide en Terre sainte –
Gallimard 2008
DUCOMTE
Jean-Miche – Laïcité, laïcité(s) –
Privat 2012
DUMAS
Jean-Louis – JERPHAGNON Lucien – Histoire
de la pensée – Livre de poche 1989/90
FLORI
Jean – Guerre sainte, jihad, croisade
– Seuil 2002
FOUREST
Caroline - VENNER Fiammetta - Tirs
croisés - Livre de poche - 2003
GAUTHIER
Guy – NICOLET Claude – La laïcité en
mémoire – Edilig 1987
GOUGES
Olympe de – Déclaration des droits de la
femme et de la citoyenne – Mille et une nuits – 2003
GROLLET
Philippe – Laïcité : utopie et
nécessité – Labor 2005
HAARSCHER
Guy – La laïcité – Que sais-je ?
PUF 2011
JAURES
Jean – Pour la laïque et autres textes
– Le Bord de l’Eau 2006
KINTZLER
Catherine – Qu’est-ce que la laïcité ?
– Vrin 2008
KRISTEVA
Julia – Cet incroyable besoin de croire –
Bayard 2007
LE
BRAS Hervé – L’invention de l’immigré
– L’Aube 2012
MARX
Karl – Philosophie – Folio Essais
1994
MINOIS
Georges – Histoire de l’athéisme –
Fayard 1998
PENA-RUIZ
Henri – Dieu et Marianne – PUF 1999
PENA-RUIZ
Henri – La laïcité. Textes choisis –
Flammarion 2003
PENA-RUIZ
Henri – Qu’est-ce que la laïcité ?
– Folio actuel 2003
PENA-RUIZ
Henri – Qu’est-ce que l’école ?
– Folio actuel 2005
PIOTTE
Jean-Marc - La pensée politique de
Gramsci - Lux Humanités 2010
RAWLS
John – Théorie de la justice – Points Essais 2009
ROSANVALLON
Pierre – La société des égaux –
Points Essais Seuil 2011
SCOT
Jean’Paul – « L’Etat chez lui,
l’Eglise chez elle » - Seuil 2005
SIMONE
Rafaele – Le Monstre doux. L’occident
vire-t-il à droite ? – Gallimard 2010
TOCQUEVILLE
Alexis de – De la démocratie en Amérique
(T. 2) – Flammarion 1981
VEYNE
Paul - Quand notre monde est devenu chrétien (312-394) - Albin Michel 2007