Le travail
libérateur
ou émancipateur ?
Tandis que les années 90 ont vu prospérer la thématique de fin du travail, il s'agirait aurjou'hui de
"réinventer
le travail", comme y invite Dominique Meda dans un ouvrage récent. Début 2012, Radio France menait une grande enquête, "Quel travail
voulons nous?", qui connaissait un écho important. les Nouveaux
chemins de la connaissance, émission phare de France Culture y consacrait une semaine en janvier
2014.
Ainsi, cette expérience partagée et transmise depuis des générations et qui se présente comme une évidence, une nécessité allant de soi,
ne cesse d'interpeller. Elle convoque les disciplines les plus diverses,
de la médecine à la philosophie, en passant par l'ergonomie,
la sociologie, l'anthropologie et les sciences du langage.
Sous la thématique de son coût, le discours public réduit le travail à un intrant dans un processus de production, de biens ou
de services. Pourtant, si les agents invités à parler de leur travail dans
les dispositifs de recherche se
montrent intarissables une fois surmontée la difficulté d'une mise en mots, c'est
sans doute que quelque chose de plus se joue que le moyen de percevoir un
revenu.
Les épisodes de
suicides au travail dans de grandes entreprises
largement médiatisés sont-ils illustration des effets d'un management
particulièrement inhumain ou
la manifestation aiguë d'une tension
incontournable entre ce que toute
situation de travail impose
et les attentes de ceux qui
doivent gérer, à bas bruit?
Lors de cette présentation , on envisagera le travail comme une situation qui
échappe
irréductiblement
à toute
prétention
d'anticipation absolue telle qu'elle fut pensée par le taylorisme.
Dans les années 70, les ergonomes mettent
en évidence
le couple travail prescrit/travail réel tel qu'il structure toute
situation de travail . Cette paire peut être rapprochée des observations de Diderot distinguant la
"connaissance inopėrative
" et la pratique.
Balayée par l'industrialisme du 19° siècle, ce n'est que à la faveur de la mise en
crise du taylorisme que sera reconsidérée cette articulation.
Toute situation de travail serait donc structurée par deux axes de coordonnées:
- l'axe du concept, des savoirs théoriques et techniques codifiés, procédures et consignes.
- l'axe de l'historique, qui enregistre les éléments d'imprévisibilité et de variabilité que traverse toute situation
de vie en général, et singulièrement de travail.
L'activité , ce serait dès lors ce qui se passe entre les deux: le concept
d'usage de soi nous permet de rendre compte de ce passage.
Usage de soi par d'autres, du côté de la prescription, usage de
soi par soi, du côté de la prise en compte du ici
et maintenant . Le travail n'est jamais de pure exécution, et si le concept possède son indiscutable et nécessaire pouvoir
d'anticipation, l'expérience
enregistre et anticipe dans l'infime ce
qui échappe à toute généralisation.
On pourrait ainsi suggérer que c'est dans le degré de tension, ou dans le conflit, entre les normes
imposées par
la sphère managériale et les
normes proposées par
les protagonistes de l'acte de travail que se situe la négociation instable entre aliénation et
accomplissement.