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Le travail va-t-il disparaître ?
à déterminer
Pierre-Jean Dessertine

Le café-philo d'Apt ne pourra plus se réunir au Restaurant de La Tour de l'Ho. Il recherche un lieu d'accueil sur Apt.

Ce peut être un autre établissement bar-restaurant, ou aussi un espace dans un établissement public s'il permet d'apporter une collation à consommer sur place dans le respect des lieux.

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L'homme va-t-il changer sa nature ?

Compte-rendu Café-philo Apt du 18/01/2013

La question est présentée explicitement comme ouvrant à une réflexion sur une idéologie très débattue de nos jours : le transhumanisme.

La présentation est développée en 3 étapes :
1.      Faut-il prendre au sérieux l’idée que l’homme puisse changer sa nature ?
2.      Le transhumanisme est-il une libération ?
3.      Le transhumanisme est-il une illusion ?

1. Faut-il prendre au sérieux l’idée que l’homme puisse changer sa nature ?
Il est montré d’abord que les hommes ont toujours rêvé d’une nature autre qui serait immortelle.
Mais aujourd’hui si l’on parle de changer de nature, ce n’est plus en s’appuyant sur l’imagination mais sur des réalités :
--> nous avons une expérience vécue des changements de plus en plus intrusifs que la médecine opère en nous.
--> le développement récent de nouveaux domaines scientifiques convergents – les Nanotechnologies, les Biotechnologies, l’Informatique, et les sciences Cognitives (les N.B.I.C.) –  rend un changement de notre nature à portée des techniques rendues possibles par ces savoirs ; ces techniques pourraient en effet abolir les limites auxquelles depuis toujours les hommes ont été confrontés, et tout particulièrement la mort au bout de quelques décennies.
Le transhumanisme est l’idéologie portée par des associations qui s’activent depuis, les années 80, pour promouvoir le développement et l’usage de ces techniques sans réserves.
Ainsi, avec le transhumanisme le changement de la nature humaine est devenu quelque chose de tout à fait sérieux

2. Le transhumanisme est-il une libération ?
Le transhumanisme ne devrait-il pas nous réjouir ? Il préconise de favoriser toutes les techniques utiles à notre bien-être ; il nous annonce la possibilité un avenir de bonheur généralisé !
Pourtant il se heurte à l’écologisme, très populaire de nos jours. L’écologisme récuse le projet de maîtriser la nature et préconise que l’humanité vive en harmonie avec les autres composants de la biosphère.
Il se heurte également à toutes sortes de freins culturels hérités du passé (croyances, morales, mœurs traditionnelles, etc.)
Pour les transhumanistes, l’homme est resté trop timoré par rapport à la nature : il est temps qu’il assume pleinement sa rationalité et les pouvoirs qu’elle lui donne.
Le transhumanisme se place dans le cadre de la philosophie utilitariste définie par Bentham (fin du XVIII° siècle) : Est bien ce qui est utile – est utile ce qui contribue à augmenter le bonheur de la société – le bonheur la société s’évalue par un calcul des plaisirs et des peines de l’ensemble des individus qui la composent – est donc bien tout ce qui augmente la quantité de plaisir et diminue la quantité de peine dans la société.
Le transhumanisme, c’est l’idée que la technoscience apporte de formidables promesses pour augmenter la quantité de plaisirs et diminuer la quantité de peines : elle est donc le bien par excellence pour notre vie sociale.
Si bien que la valeur suprême (le Souverain Bien) en fonction de laquelle doivent se faire tous les choix humains est le bien-être entendu comme plénitude de sensations positives (ou plaisirs). Et les transhumanistes prévoient de changer l’humain en ce qu’ils appellent le « posthumain » pour réaliser cette valeur.
Pour justifier ce changement de notre nature humaine, les transhumanistes se réfèrent à l’humanisme de Pic de la Mirandole qui écrivait dans son Oraison sur la dignité humaine (1486), sous la forme d’une adresse de Dieu à Adam :
« ô Adam, nous ne t'avons donné ni une place déterminée, ni une physionomie propre, ni aucun don particulier, afin que la place, la physionomie, les dons que toi-même tu aurais souhaités, tu les aies et tu les possèdes selon tes vœux, selon ta volonté. Pour les autres, leur nature définie est régie par des lois que nous avons prescrites; toi, tu n'es limité par aucune barrière, c'est de ta propre volonté, dans le pouvoir de laquelle je t'ai placé, que tu détermineras ta nature. (…). Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines. »
Les transhumanistes se donnent le mérite de tirer toutes les conséquences de cette proclamation qui légitime, pour l’homme, le projet de changer sa nature

3. Le transhumanisme est-il une illusion ?
Les transhumanistes considèrent que le posthumain serait « divin » (cf. texte de Pic) parce qu’il exprimerait la réalisation du bonheur par la raison.
Mais ne peut-on pas dire aussi qu’il serait « bestial », puisqu’il réalise une forme de bonheur – par les sensations positives – qui pourrait tout aussi bien être celui de l’animal ? Mon chat, maître dans l’art du bien-être, et qui ne se sait pas mortel, n’est-il pas d’emblée plus proche que moi du posthumain ?
J’aime bien mon chat, mais je ne veux pas être réduit à mon chat. Il me semble qu’en tant qu’humain ma véritable satisfaction doit passer par d’autres voies.
Il faut remarquer la totale évacuation de la culture humaine par le transhumanisme.
En effet, la culture est l’ensemble des créations humaines qui sont reconnues comme méritant d’être conservées et transmises parce qu’elles enrichissent le monde et par là valorisent l’humanité (dans l’idéologie transhumaniste, ce n’est pas le cas de la raison, de la science et de la technique, car elles ne valent que comme moyens pour le bien-être).
La culture, c’est l’invention de nouvelles formes de vie par le seul vivant qui doit inventer ses biotopes parce qu’il n’a pas de biotope assigné.
La culture apporte un type de satisfaction entièrement différents des satisfactions sensibles auxquelles les transhumanistes voudraient limiter les humains : il s’agit d’une satisfaction essentiellement spirituelle (même si elle peut avoir une résonance physique) et qui n’enferme pas l’individu en lui-même puisqu’elle tend spontanément à être partagée.
De cette satisfaction, qui seule donne sens à une vie humaine, le posthumain serait exclu.
Le critère qui fait reconnaître comme culturelle une œuvre humaine est de pouvoir être reconnue par tous comme valorisant l’humanité.
Ne font pas partie de la culture les produits de l’activité humaine qui ne valent que pour un intérêt particulier.
Il faut faire alors l’hypothèse que le rejet de la culture par les transhumanistes est peut-être le moyen pour un intérêt particulier d’asservir les hommes à une seule valeur finale – le bien-être.
Or cette primauté de la valeur de bien-être caractérise déjà notre société technico-marchande qui en fait une promotion incessante. Elle sert l’intérêt de ceux qui contrôlent les flux de marchandises destinées à être consommées et en tirent profit et puissance.
Notre société technico-marchande est aujourd’hui en crise : d’une part elle ne trouve plus de débouchés suffisants pour ses marchandises, d’autre part elle engendre le doute par les crises écologiques, sociales et existentielles qu’elle provoque.
Peut-être que l’idéologie transhumaniste ne fait qu’ajouter à cette propagande pour faire de ce bonheur technocratique notre horizon souhaitable et indépassable ?
Le transhumanisme ne serait-il pas la réclame magnifiée, grandiose, générale, d’un système technico-marchand qui cherche à se relancer ?

Ce qui est certain c’est que le posthumain, loin d’être un « homme-plus » selon l’expression parfois employée par les transhumanistes, sera inévitablement un « homme-moins ». Non seulement ses désirs seront rabattus au niveau des satisfactions animales, mais il aura perdu la liberté qui faisait sa dignité.
Car que peut être une liberté entièrement bridée par les appareillages techniques nécessaires à son bien-être ?
Que peut être une liberté qui n’a plus à se soucier des valeurs finales en fonctions desquelles on doit vivre ?
Que peut signifier une liberté pour laquelle il n’y a même plus d’enjeu à choisir puisque, le temps de vie n’étant pas limité, on peut toujours revoir ses choix ?

Débat

Il n’y avait, semble-t-il, pas de transhumanistes dans la salle. Le débat, en effet, a été consacré à approfondir certains aspects de la critique du transhumanisme.

Il a d’abord apporté des aperçus complémentaires sur ce que serait l’homme du futur si les transhumanistes imposaient leurs choix :
– que vaudrait une vie de bien-être qui ne connaîtrait pas le mal-être ?
– ce serait sans nulle doute une humanité à deux vitesses, en laquelle une élite profitant des bienfaits de la technique aurait relégué définitivement à une condition inférieure des humains considérés comme sans valeur, parce que restés dans leurs limites d’antan ;
– ce serait une société de totalitarisme technocratique. Ce totalitarisme se manifesterait d’abord dans la gestion de la population posthumaine qui procéderait d’un eugénisme drastique ;
– ce serait une société qui ne pourrait maintenir les relations familiales, les relations parents/enfants étant devenues ingérables par la longévité indéfinie des parents.

Il a été judicieusement remarqué que le posthumain ne nous était, d’ores et déjà, pas si étranger que ça, car certains comportements déterminés par les nouvelles technologies nous en montraient quelques caractères : le bien-être et la liberté vaine de celui qui joue indéfiniment à un jeu vidéo ; la relation à autrui sans risque de souffrance sur les réseaux sociaux virtuels d’Internet.

Les échanges ont aussi permis de mettre l’accent sur la dimension politique de l’idéologie transhumaniste. On a remarqué que le mouvement transhumaniste pouvait annoncer la possibilité d’un prochain totalitarisme, comme le mouvement futuriste avait annoncé, au siècle dernier, les fascismes.
Des interventions ont contribué à mettre à jour les orientations que peuvent prendre dès aujourd’hui, nos sociétés occidentales, sur la voie préconisée par les transhumanistes. Ces orientations sont d’autant plus difficiles à combattre, qu’elles avancent le plus souvent masquées derrière des arguments consensuels, tels une avancée des libertés, ou un gain de bien-être commun. On a souligné qu’en sous-main de ces décisions, se trouvaient sans nul doute des transhumanistes ayant une prise directe sur le pouvoir politique.
On a aussi noté le découplage complet, concernant l’enjeu transhumaniste, des pays non développés de ceux qui sont développés ou se développent.
On a terminé sur la nécessité collective de mieux utiliser notre liberté de citoyen pour ne plus subir passivement la dérive transhumaniste.

Pierre-Jean Dessertine, le 19/01/2013

Café-philo du 18 janvier 2013


"L’homme va-t-il changer sa nature ?"

 Débat introduit par Pierre Jean Dessertine et animé par Martin Videcoq

La conjugaison de nouvelles technologies – les N.B.I.C. : Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique, sciences Cognitives – a amené certains esprits à considérer que la science est désormais en mesure d’abolir les limites sur lesquelles buttent depuis toujours les hommes, et en particulier la mort au bout de quelques décennies.
Parce qu’un tel projet impliquerait un changement de la nature de l’homme, ses partisans l’appellent «transhumanisme ».

Le transhumanisme est-il possible ? Est-il souhaitable ?

Références :
·         Manifeste transhumaniste
·         Un monde sans humains

Pierre-Jean Dessertine, professeur de philosophie, est auteur de plusieurs ouvrages. Il a publié récemment « Pourquoi l’homme épuise-t-il sa planète ? » Il anime le site de philosophie : www.anti-somnambulique.org, et publie régulièrement sur le blog de l’anti-somnambulique.