Compte-rendu
Café-philo Apt du 20/12/2013
Faut-il avoir peur du vie ?
Présentation de la question par Elisabeth Videcoq
La
notion de vide est paradoxale. Le vide est absence d'être. Comment alors
peut-il être ?
Première
conséquence : les penseurs ont pendant très longtemps nié l'existence du
vide.
Seconde
conséquence : lorsqu'il a bien fallu l'admettre puisque l'expérience
l'impliquait, il est apparu comme possédant les qualités d'un être à part
entière. Le vide des physiciens est le lieu de champs gravitationnels et
électromagnétiques.
Face
à ces impasses, l'intervenante propose d'aborder le
vide en tant que sentiment, ce qu'on peut appeler le vide
« existentiel ».
Une de ses occurrences familières est la situation d'attente où le
présent est évacué en faveur du futur. Symétrique est le sentiment de vide lié
à la situation d'échec où le présent est évacué en faveur du passé.
Mais parfois, c'est le présent lui-même qui se refuse à nous
motiver. Nous vivons alors dans une temporalité vide qu'il faut bien faire
passer malgré tout. Cela peut être dû à un contexte démotivant - « il n'y
a rien à faire ici ». Mais Pascal met en évidence une cause plus
essentielle à l'ennui et qui est en soi-même, lorsque l'homme sent
« son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son
impuissance, son vide » liés à sa condition.
L'apathie dépressive comme contrecoup de l'activité exigée par la
vie sociale est le symptôme de l'absence de sens - du vide - de cette vie.
Le deuil est un processus psychique résultant du vide laissé par
la perte d'une relation affective importante pour la valeur de son existence.
D'une manière générale l'expérience de la souffrance, qui est
toujours finalement une expérience de sa solitude, creuse toujours un sentiment
de vide.
Comme le montre Pascal, la fuite à tout prix dans le
divertissement est alors trop souvent la réponse donnée au sentiment de vide.
Mais le divertissement – qui signifie se détourner du problème au lieu de le
résoudre – approfondit le sentiment de vide car il éloigne l'homme du sens
qu'il pourrait donner à sa vie pour qu'elle retrouve une plénitude.
L'intervenante montre alors en quoi la société contemporaine est
une société où ce sentiment de vide s'exacerbe dans le même mouvement où le
divertissement se généralise jusqu'à prendre parfois la forme d'addictions.
Un des phénomènes les plus significatifs à cet égard est le
délitement du lien social et la montée de l'individualisme narcissique.
Pour conclure l'intervenante met en perspective la valeur négative
du vide dans la culture occidentale par opposition à la valeur positive que lui
donnent des pensées orientales comme le bouddhisme.
Ce qui lui permet d'ouvrir le débat sur la question : Le vide
est-il une fatalité ou une opportunité ?
Débat
Les interventions des participants au débat ont été riches dans le
sens où elles ont multiplié les points de vue sur le sens que peut prendre le
vide dans l'existence humaine.
On a souligné le passage d'une certaine plénitude au vide des
sociétés encore primitives à partir du moment où leur étaient imposées les
valeurs de la civilisation occidentale.
Dans la foulée on a constaté la capacité de faire le vide, non
seulement dans les cultures différentes, mais aussi dans la biosphère, de cette
civilisation occidentale qui se mondialise.
A été évoquée cette angoisse universelle du vide qu'on appelle le
vertige ; on a fait l'hypothèse qu'elle puisse être reliée au choc
psychologique qu'est la naissance. Dès lors est apparu la possibilité d'un lien
entre le vécu de la brutale mise en espace du nouveau-né humain et la prégnance
des sentiments négatifs liés au vide dans l'existence humaine.
Mais on a aussi remarqué que, concernant les affects liés au vide,
il fallait sans doute faire une distinction entre la culture occidentale et les
pensées orientales. On a souligné que pour le Bouddhisme entre autres le vide
était le but ultime – le Nirvana – et le principe d'une spiritualité très riche
qui passe par le renoncement au désir.
Cependant ce but restant obscur par sa dimension mystique, une participante
a fait remarquer que d'une manière générale l'idée de vide se manifeste
toujours lorsqu'une chose qui nous intéresse disparaît. Si bien que le
sentiment négatif du vide doit être relié au sentiment de manque.
La pensée de Bergson a été alors évoquée. Pour ce philosophe le
vide est une illusion car si l'on s'en tient à notre expérience dans son
immédiateté, il n'y a jamais de vide : dès que quelque chose disparaît il
y a autre chose qui la remplace. Parler de vide, c'est ne tenir compte que de
ce qui disparaît parce que ça nous intéresse en escamotant ce qui apparaît.
Cette analyse est intéressante parce qu'elle permet de comprendre
pourquoi on ne trouve jamais une réalité absolue du vide, mais seulement une
réalité relative. Il n'y a pas le vide, mais il n'y a que des vides de quelque
chose.
On a vérifié ceci pour les deux vides les plus importants de
l'existence humaine : on ne peut arriver à aucun début de conception d'un
vide qui précéderait notre naissance comme de celui qui suivrait notre mort.
Finalement, à partir de l'idée que l'existence de tout être humain
se remplit de sa capacité de donner sens à sa vie, il semble bien qu'un certain
consensus se soit fait sur l'idée que le vide est essentiellement absence de
sens. Le vide de quelque chose étant la conscience de la perte d'un être qui
faisait sens pour soi.
Le vide d'une société serait alors exactement proportionnel à sa faculté
d’aliéner la capacité des individus à donner du sens à leur vie.
Pierre-Jean Dessertine
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